Michel Sauval - Psicoanalista Jacques Lacan, Seminario "La angustia", Lectura y comentarios de Michel Sauval

Hommage rendu par Jacques Lacan à la femme castratrice

Jean Allouch

Tomado de
http://www.jeanallouch.com/document/28/hommage-rendu-par-jacques-lacan-a-la-femme-castratrice.html

Publicado en "L'Évolution Psychiatrique", 1999 - Volume 64 - Numéro 1 - pp: 83-100
La traducción al castellano fue publicada como "Homenaje de J. Lacan a la mujer castradora",
en Revista Litora nº 28 "La opacidad sexual II"

C'est là qu'est notre pratique:
c'est approcher comment les mots opèrent.

L'essentiel de ce qu'a dit Freud,
c'est qu'il y a le plus grand rapport entre cet usage des mots
dans une espèce qui a des mots à sa disposition
et la sexualité qui règne dans cette espèce
[1].

Bien que cet aspect de son frayage soit peu pris en compte, Jacques Lacan n'a pas méconnu que la psychanalyse est une érotologie. Il n'y a d'ailleurs là rien de radicalement nouveau par rapport à Freud [1]. Ainsi, tout au long d'un siècle de cohabitation, « la nouvelle psychiatrie » ne cessa-t-elle pas de poser à celle que gouvernait, d'ailleurs depuis peu, le paradigme des maladies mentales [3, 4], la question suivante : reconnaît-elle, elle aussi, le caractère libidinal de ce qu'elle se donne comme objet à la fois d'études et de soins ? Non pas que la psychanalyse, au même endroit, tienne le cap, ce que Wilhelm Reich déplorait. La question, pourtant, ne datait pas d'elle. Pascal Quignard:

Épicure fut au Ill° siècle avant l'ère ce que Freud fut au XXe siècle […]. Leur thèse initiale est la même : un homme qui ne jouit pas fabrique la maladie qui le consume. L'angoisse, ajoutent-ils tous deux, n'est que de la libido sexuelle qui flotte, se retourne contre elle-même et intoxique [2].

À l'endroit du sexuel, la permanence d'une tension entre psychanalyse et psychiatrie fut sans doute confortée par le fait que celle-ci était une discipline dès son départ double, ainsi que Jacques Postel le soulignait récemment. Dans la séparation de Freud et de Charcot - ce qu'on présente comme une rencontre ou, pire, une influence -, le sexe était déjà le trait discriminant.

Une des raisons qui paralysent l'accès à la prise en compte lacanienne de la psychanalyse comme une érotologie est le fait que le séminaire au cours duquel Lacan s'y est employé de la manière la plus ouverte - L'angoisse, 1962-1963 - n'est pas publié. Il s'agit pourtant d'un séminaire carrefour, « de beaucoup le meilleur séminaire que j'ai fait[3] », disait Lacan, celui au cours duquel son enseignement traversait une crise que vint résoudre (partiellement) l'invention de l'objet petit a, le dernier séminaire, aussi, à s'être pleinement tenu à l'hôpital Sainte-Anne[4], celui qui, même à le lire de loin, suffit à débouter le faux procès fait à Lacan de n'avoir pas tenu compte de l'affect.

Le style de Lacan empêchant d'étudier quelque problème que ce soit en le paraphrasant, en condensant le propos, en le résumant au nom d'une visée pédagogique ou introductive, on tentera ici de lire une phrase des Écrits à l'aide de plusieurs séances du séminaire L'angoisse. Nulle part comme dans L'angoisse Lacan n'aura fomenté une théorie de la baise (ni « acte » sexuel, ni « rapport », ni « relation » ne conviennent, et « coït » est vraiment trop laid) aussi explicite ; nulle part le nombre des remarques à ce propos, leur caractère articulé, leur centrage maintenu, leur concentration ne leur donnent, comme ici, l'allure d'une théorie de la baise en bonne et due forme.

Qu'entendre par théorie de la baise ? Très classiquement, la double opération d'un « récolement des faits [5] » concernant cet acte (la présentation de ces faits supposant déjà, bien entendu, une certaine théorie), puis la production d'un certain nombre d'énoncés, de concepts, voire de mathèmes, susceptibles d'expliquer cet ensemble de faits.

Quel corpus ?

À quoi donc avons-nous affaire comme corpus, dès lors qu'il s'agit d'étudier une séquence de la théorie lacanienne de la baise telle qu'elle se construit dans L'angoisse ? Pas seulement aux transcriptions qui circulent de ce séminaire, essentiellement deux, aucune n'étant fiable. Il convient en effet d'intégrer à ce séminaire le texte intitulé «Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine ». Il en est question dans la séance du 19 décembre 1962, à l'occasion de la sortie en français du texte de Ferenczi : « Recherche d'une théorie de la génitalité ». Le congrès a eu lieu à Amsterdam du 5 au 9 septembre 1960. Dans les Écrits, il est signalé que ces « Propos... » furent écrits deux ans avant ce congrès, soit en 1958 (mais on imagine mal Lacan donner oralement un texte écrit deux ans avant sans en avoir repris les termes). Quoi qu'il en soit, le texte paraît dans La psychanalyse, n° 7, en 1964[6], donc après la fin du séminaire L'angoisse. Quand a-t-il été rédigé ? Seule une étude de type « philologique » nous permettrait de situer, entre 1958 et 1964, le moment exact de sa rédaction. Étant donné le flottement de ce texte dans l'espace de ces six années, il est exclu de ne pas le prendre en compte dans ce que va être notre parcours dans L'angoisse. Sa place est ici d'ouverture, car rien ne contrevient, dans le texte même et en dépit de sa publication en 1964, à l'idée qu'il est antérieur au début de L'angoisse - ce que confirme la fausse indication 1962.

Les « Propos directifs…»

Quelques éléments pour la mise en place du problème

Dans ce texte, Lacan souhaite « ramener l'attention » sur :

[…] la partie féminine, si ce terme a un sens, de ce qui se joue dans .la relation génitale, ou l'acte du coït tient une place au moins locale. [7]

Le « si ce terme a un sens » n'est pas pure fioriture, comme le confirme ce curieux syntagme de « partie féminine », dont une des connotations n'est rien de moins - ni de plus - que le phallus métonymiquement désigné par les « parties ». Cette restriction apparaît aussi pour nous aujourd'hui on ne peut plus moderne, les Gay and lesbian studies ayant désormais largement démontré, avec Michel Foucault, qu'aborder la question érotologique depuis une opposition masculin / féminin qu'on se donne comme constituée (il y aurait deux identités ou rôles - gender2) revient à écarter d'emblée le problème que l'on prétend traiter. C'est aussi dire que l'hypothèque, plus qu'hypothèse, de la bisexualité a fait long feu.

Le sol biologique, chromosomique, hormonal, physiologique n'est pas négligé par Lacan Ce même souci se retrouvera dans L'angoisse, par exemple à propos du lien du sujet naissant à ses caduques. Lacan regrette l'absence de ces données dans le discours des analystes, absence toujours aussi éclatante aujourd'hui. Concernant la physiologie de la baise, il existe pourtant, à l'heure actuelle, quelques travaux, il est vrai sans commune mesure avec ceux consacrés à la respiration ou à la digestion [8].

Ces « Propos... » sont marqués du sceau d'un assez net scepticisme. Ce n'est pas seulement que « […] la nature de l'orgasme vaginal garde sa ténèbre inviolée[9] » (noter ce mot ! comme avec « partie féminine », Lacan s'amuse), affirmation qui cache peut-être un fantasme de cunnilingus puisque Lacan affirme ceci juste après avoir dit que, s'agissant de la jouissance féminine, il donne sa langue au chat ; c'est aussi qu'« un congrès sur la sexualité féminine n'est pas près de faire peser sur nous la menace du sort de Tirésias[10] ».

Autant dire, à la cantonade et à l'avance que, pour ce qu'il en serait de l'objectif du congrès envisagé, l'on va attendre.

Mais surtout, ces « Propos... » confirment le choix par Lacan d'aborder le problème de la baise selon une voie, selon la « perspective androcentrique de rencontrer la femme [11] ». Cette voie fait disparité entre homme et femme ; elle situerait par ailleurs l'un par rapport à l'autre les deux pôles entre lesquels le féminin comme tel échapperait, deux pôles qui sont autant de versions du féminin. Soit la femme est phallus, soit elle est grand Autre, étant entendu - c'est la réserve ci-dessus notée - qu'elle n'est ni l'un ni l'autre.

1. Le pôle phallique. Lacan suggère qu'« [...] une théorie est requise de la fonction d'équivalence du phallus dans l'avènement de tout objet du désir […][12] ». Et de convoquer Freud, mais dans ses propres termes. Freud a introduit une « question de structure », ainsi formulée :

[...] le rapport de privation ou de manque à être que symbolise te phallus, s'établit en dérivation sur le manque à avoir qu'engendre toute frustration particulière ou globale de la demande - et c'est à partir de ce substitut, qu'en fin de compte le clitoris met à sa place avant de succomber dans la compétition, que le champ du désir précipite ses nouveaux objets (au premier rang l'enfant à venir) [...] [13].

Cependant, il y a lieu de garder une certaine réserve à l'endroit de cette structure,

[...] d'interroger si la médiation phallique draine tout ce qui peut se manifester de pulsionnel chez la femme.

Cette réserve s'étend même selon la formule suivante

[...] le fait que tout ce qui est analysable soit sexuel, ne comporte pas que tout ce qui est sexuel soit accessible à l'analyse.

ll. Le pôle grand Autre. Il donne lieu à une formule quasi paradigmatique de la voie androcentrique de rencontrer la femme. Si la castration « suppose la subjectivité de l'Autre en tant que lieu de sa loi » (formule qui, en faisant valoir une intersubjectivité, nous assure que ce texte fut bien rédigé avant l'invention de l'objet petit a, le 9 janvier 1963), « l'altérité du sexe se dénature de cette aliénation ».

Vient alors la formule que nous disions paradigmatique :

L'altérité du sexe se dénature de cette aliénation. L'homme sert ici de relais pour que la femme devienne cet Autre pour elle-même, comme elle l'est pour lui [14].

On ne saurait être plus clair sur la voie androcentrée en tant que la femme, elle aussi, ne pourrait faire autrement que de l'emprunter. À la différence de l'homme, elle devrait, elle, en passer par un homme-relais (nous verrons bientôt ce que cela veut dire) pour pouvoir emprunter cette voie [15]. Mais il reste que cette inscription a son revers, ou son point de fuite, en ce sens que, du coup,

[...] tout peut être mis au compte de la femme pour autant que dans la dialectique phallocentrique elle représente l'Autre absolu.

La féminité, dans ce texte, se présente donc tendue, tiraillée entre Charybde et Scylla, les deux pôles que nous distinguions.

Vers une théorie de la baise

Y a-t-il dans ces « Propos... » une théorie de la baise ? On y trouve au moins une indication, s'inscrivant selon la ligne de pente de la voie androcentrique. Cette indication théorique - plus que théorie déployée - intervient tout à la fin du propos et, ce qui ne manque pas de sel (toujours le gai savoir), dans le point IX, intitulé « L'homosexualité féminine et l'amour idéal ». Elle tient en une phrase. Après avoir dit que c'est à partir de l'homosexualité féminine (c'est-à-dire d'une position où c'est « sur la féminité que porte l'intérêt suprême », non sans qu'un homme soit fantasmatiquement présent) que pourrait se découvrir « l'accès qui mène de la sexualité féminine au désir même », Lacan écrit :

[...] la sexualité féminine apparaît comme l'effort d'une jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté (dont peut-être toute circoncision indique-t-elle la rupture symbolique) pour se réaliser à l'envi du désir que la castration libère chez le mâle en lui donnant son signifiant dans le phallus [16].

Telle est la phrase que nous souhaitons ici éclairer. D'emblée, elle appelle quelques remarques, que seule la suite du faufilage que nous allons déployer pourra légitimement expliciter, relativiser, voire corriger.

I. Une jouissance. Lacan définit la sexualité féminine non comme désir mais comme jouissance. Or, l'on pourrait assez bien concevoir qu'il en ait parlé en termes de désir, d'autant plus que, dans ce texte encore, il est question du désir (inconscient) du sujet comme désir de l'Autre [17]. Ne disposait-il pas, avec cette formule hégélienne, d'un formidable instrument pour rendre compte de la baise comme d'un mouvement où, mieux que partout ailleurs, le désir se lierait au désir ? Répondre « oui » fait d'autant mieux sentir l'importance du fait qu'il n'en soit rien. Lacan, dans ces années-là, prend ses distances avec Hegel.

Concernant cette jouissance, il précise : « une jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté ». La parenthèse qui suit est très utile car elle interdit l'interprétation féminisante selon laquelle il y aurait là un type de jouissance typiquement féminine. Si la circoncision peut en désigner la rupture symbolique, manifestement, cette contiguïté ne concerne pas seulement.la sexualité féminine.

Comment entendre que cette jouissance s'enveloppe elle même dans sa propre contiguïté, cette heureuse formule pour le frisson orgasmique, pour ce que Freud disait être la plus grande jouissance qui soit offerte à tout un chacun ? Ne nous précipitons pas à trop élucubrer sur une base aussi fragile qu'une seule phrase. Ce d'autant moins que semblent ici non distingués la jouissance préliminaire (le Vorlust freudien, une tension ne cessant de croître) et l'orgasme qui y met fin. Sans doute y a-t-il un problème concernant cette propagation qui, à un moment donné, cesse. Et l'on peut concevoir qu'en parlant d'un enveloppement sur soi-même de cette jouissance, Lacan fait allusion à cette fin.

II. A l' envi du désir. Ce n'est donc pas le fait d'avoir situé la sexualité féminine comme jouissance qui ferait cette sexualité proprement féminine. Ce qui la ferait telle serait son articulation avec un désir, celui du mâle. Relisons, en enlevant la parenthèse :

[…] l'effort d'une jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté […] pour se réaliser à l'envi du désir que la castration libère chez le mâle en lui donnant son signifiant dans le phallus.

La jouissance fait effort pour se réaliser à l'envi d'un désir. Lacan écrit en italique le « réaliser à l'envi », ce qui appelle quelques remarques.

a) Il y a, ici, rapport sexuel : une position féminine est bel et bien articulée avec une position masculine, si ce n'est d'une façon à proprement parler écrite, tout au moins d'une manière conceptuelle. Ce qu'indique le point b ci-dessous, qui vaut énoncé d'un rapport.

b) En effet, « à l'envi de » est une locution prépositionnelle, qui vient de l'ancien substantif « envi » : défi, surenchère ; c'est la somme d'argent qu'on met en jeu pour surenchérir sur un partenaire. Il y a homophonie avec l'« envie », ce qui n'est pas négligeable s'agissant d'un écrit de Lacan ; mais l'italique est ici fait pour souligner l'usage d'envi et non pas d'envie. « Envie » vient d'invidia, jalousie, désir, tandis qu'« envi » vient d'invitare, inviter, lui-même fait, selon Littré, du privatif in et de vitus, contraction de vicitus, dont l'origine est le sanscrit vaç, vouloir. « À l'envi de » (vieilli, selon le Robert), veut dire : « en lutte, en rivalité avec... ».

On a donc affaire à une jouissance non pas tant féminine que de la femme qui se réalise en rivalité, en surenchérissant sur un désir. Il n'y a pas d'envie, pas de jalousie à l'endroit de ce désir, mais une façon de jouer, de faire avec, qui en rajoute sur ce désir. On saisit mieux pourquoi cette remarque sur la baise se trouve inscrite dans un sous-chapitre sur l'homosexualité féminine et l'amour idéal. La jouissance qui réagit ainsi n'est pas celle d'une femme-femme, d'une femme magnifiée dans sa féminité, sublime, idéale, incarnation parfaite d'un genre ; c'est plutôt celle d'un(e) partenaire qui joue d'une certaine façon, qui lutte, ce qui suppose une dimension d'alter-égoïté (qu'on pardonne ce barbarisme). On est proche de deux partenaires au tennis ou, mieux encore, de quelque chose comme le jeu du chat et de la souris. Rien ici n'objecte, bien au contraire, à ce qui serait un statut cynégétique du sexuel. Pourtant, subvertit cette alter-égoïté qui rend possible la rivalité le fait que les armes ne sont pas les mêmes des deux côtés. Alors, de quel désir s'agit-il, côté mâle?

c) Il s'agit « du désir que la castration libère... ». Une page avant la phrase que nous tentons de lire, et cette fois dans le point VIII [18] intitulé « La frigidité et la structure subjective », Lacan a donné des indications suffisantes pour que nous puissions lire que cette castration vient à l'homme par la femme. Citons :

[…] la servitude du conjoint le rend spécialement apte à représenter la victime de la castration [19].

Ou encore :

[…] s'il n'est pas de virilité que la castration ne consacre, c'est un amant châtré ou un homme mort (voire les deux en un), qui pour la femme se cache derrière le voile pour y appeler son adoration […][20].

Vient alors, juste après, la conséquence de l'épinglage de ce à quoi la femme a affaire derrière celui qu'elle adore (derrière le voile qui cache-révèle le phallophore), et de ce qu'elle fait effectivement en le baisant, c'est-à-dire en consacrant sa castration (celle du mâle) :

[...] c'est de cet incube idéal qu'une réceptivité d'étreinte a à se reporter en sensibilité de gaine sur le pénis.

Ce n'est donc pas seulement que, dans la baise, avec la réceptivité de sa gaine, la femme soit, au sens disons « créatif » de ce mot, castratrice. C'est qu'elle est castratrice lorsque sa jouissance se réalise en surenchérissant sur le désir mâle, dans le fait même que sa jouissance prenne ainsi appui sur ce désir.

Il y a ici, quelque peu développée, une description théorique de ce qui se passe dans le rapport sexuel. On trouve dans ces « Propos... » la description d'une voie androcentrique de rencontrer la femme, différemment empruntée par l'homme et par la femme, laquelle voie fait, entre eux, rapport sexuel. C'est donc le cas pour l'homme, qui ne devient viril qu'en étant châtré par la jouissance de sa partenaire. C'est aussi le cas de la femme, qui ne trouve sa jouissance que par le biais du désir de l'homme qu'elle châtre.

Ainsi, tout à la fin du texte, hommes et femmes reçoivent-ils leurs noms quelque peu ubuesques ; ils sont, respectivement les « tenants du désir » et les « appelants du sexe » [21]. On note le masculin, au: moins grammatical, non sans rêver, circoncision aidant, d'un autre terme : les appeleuses.

L'Angoisse, séance du 19 décembre 1962

Il va s'agir d'un point clinique important à établir, à savoir l'orgasme féminin comme crise d'hystérie vaginale.

Ce 19 décembre 1962, Lacan commente brièvement l'ouvrage de Ferenczi : Recherche d'une théorie de la génitalité. Tout en notant que ce texte peut, à l'occasion, participer d'un délire, Lacan y reconnaît le recueil d'une énorme expérience. S'agissant de la sexualité génitale chez la femme, le trait précieux, trouvé dans Ferenczi par Lacan, est celui d'une interruption plutôt inattendue (qui n'a pas d'équivalent chez le mâle). Il s'agit du déplacement de l'érogénéité (que la sténotypiste, fort joliment en la circonstance, écrit « hérogénéité » !) du clitoris à la cavité vaginale. Chez la femme, ajoute Lacan, d'autres régions du corps peuvent se génitaliser, comme l'hystérie en témoigne. Et Lacan de conclure, selon un raisonnement qui peut ainsi se formaliser : si d'autres régions que le vagin s'hystérisent, ce qui arrive au vagin avec l'orgasme est une crise d'hystérie.

Qu'est-ce que ça veut dire, pour quelqu'un qui a appris - que ce soit ici ou ailleurs - à entendre, si ce n'est que l'entrée en fonction du vagin comme tel, dans la relation génitale, est un mécanisme strictement équivalent à tout autre mécanisme hystérique [22].

Sur un isomorphisme nature / structure

Vient ensuite une idée que l'on peut juger n'être pas moins susceptible de participer d'un délire que certaines conceptions de Ferenczi ; une idée que l'on retrouve de temps en temps chez Lacan, par exemple quand Il avouait, bien plus tard, avoir fait de l'anatomie pour chercher s'il y avait ou non des nœuds dans l'organisme. Cette idée de nœuds anatomiques transporte avec elle la supposition d'une sorte d'isomorphisme, voire d'identité entre quelque chose de naturel, à savoir l'anatomie, et la structure topologique du sujet. Bien avant déjà, dans L'angoisse, mais après l'invention de petit a, Lacan croyait voir quelque chose comme une certaine coupure sur le cross-cap[23] dans le détachement des enveloppes que tout être humain perd en naissant[24].

Dire que ces propos sont quasi délirants ne revient certes pas à leur ôter toute valeur heuristique ; ce serait plutôt indiquer que cette valeur n'est pas donnée telle quelle dans le propos. Ce délire consisterait à exiger par exemple que, dès lors qu'un excrément est pris en fonction d'objet petit a, sa forme naturelle, sa forme d'objet phénoménologique, soit exactement celle du disque feuilleté que détache, sur le cross-cap, la coupure de la double boucle. Et de même pour le phallus, même si un phallus en double disque, on en conviendra, pose quelques problèmes pratiques pour la pénétration sexuelle. Cependant, en faveur de cette thèse de l'isomorphisme, on peut remarquer trois choses.

I. Freud n'a jamais radicalement coupé la psychanalyse de la biologie, définissant même la pulsion comme « représentant psychique du somatique ».

II. On retrouve l'analogie nature / structure jusque dans des travaux récents, tels ceux de Jean-Claude Milner. Celui-ci écrit par exemple textuellement (il est vrai qu'il s'agit de l'Antiquité) :

Tout rapport de polis trouve son analogue en un rapport de phusis et réciproquement [25].

III. C'est uniquement en référence à l'embryologie, avec pour seule « preuve », si c'en est une, l'embryologie, qu'un biologiste peut encore aujourd'hui soutenir que l'être humain est biologiquement bisexuel. En effet, la génétique, quant à elle, a bel et bien tranché en faveur de l'inexistence d'une bisexualité biologique. Mais il n'empêche, on va chercher quelques arguments du côté de l'embryologie tant - semble-t-il - l'on a besoin, donc pas seulement en psychanalyse, que le mammifère humain soit bisexuel.

Nature et hystérie

Que l'entrée en fonction du vagin soit un mécanisme hystérique veut dire que cette entrée en fonction n'a rien de naturel au sens d'un processus, d'un quelque chose qui, dans son advenue, puis dans son déroulement, serait préréglé, prévu par la nature, codé d'avance dans les gènes, laquelle nature servirait on ne sait quelle harmonie générale et non moins préétablie.

Chez Lacan, la nature, écartée par l'hystérie vaginale, va faire un étonnant retour sur scène. Qu'est-ce qui explique l'élection du vagin comme lieu de la jouissance génitale ? Comme pour les autres cas mentionnés, il s'agirait d'un isomorphisme, d'une analogie, sinon d'une identité, entre la place vide du schéma du bouquet renversé [26], où peut venir s'inscrire le - j du désir, ce qui, dans L'angoisse, s'appelle le Heim, la maison du désir, et la cavité vaginale en tant que naturellement non fonctionnelle. Voici le texte, qui a déjà fait bondir quelques personnes, peut-être bien à bon escient, car il s'agit d'un préjugé qui circulait à l'époque dans les milieux médicaux et qui semble bien infirmé aujourd'hui :

Pourquoi nous en [i.e. : de l'entrée en fonction du vagin selon la voie d'une hystérie d'organe] étonner, à partir du moment où, par notre schéma de la place, du lieu vide, dans la fonction du désir vous avez, toute prête à reconnaître, quelque chose dont, le moins qu'on puisse dire est que, pour vous, pourra au moins se situer ce paradoxe qui se définit ainsi : c'est que le lieu, la maison de la jouissance [il s'agit donc bien du Heim], se trouve, normalement, puisque naturellement, placé justement en un organe, que vous savez, de la façon la plus certaine, par l'expérience comme par l'investigation anatomo-physiologique, comme insensible au sens qu'il ne saurait même s'éveiller à la sensibilité pour la raison qu'il est énervé, que le lieu, le lieu dernier de la jouissance, de la jouissance génitale? est un endroit, après tout, ça n'est pas un mystère, on peut y déverser des déluges d'eau brûlante et à une température telle qu'elle ne saurait être supportée par aucune autre muqueuse sans provoquer des réactions sensorielles actuelles, immédiates [27].

Tel serait donc l'isomorphisme nature/structure : un vide fonctionnel opérerait conjointement dans la physiologie (c'est le vagin anatomo-physiologique, énervé) et dans la structure du désir (c'est le Heim) ?

Cet isomorphisme concluait déjà les « Propos... » :

Si quelque configuration chimique la supportait [i. e. : la libido freudienne, d'essence mâle] au-delà, pourrait-on n'y pas voir l'exaltante conjonction de la dissymétrie des molécules qu'emploie la construction vivante, avec le manque concerté dans le sujet par le langage, pour que s'y exercent en rivaux les tenants du désir et les appelants du sexe […] ?

L'angoisse, séance du 9 janvier 1963

Du Vorlust

Fort classiquement, ce jour-là, Lacan formule la question du Vorlust, de la « jouissance préliminaire », en disant qu'il s'agit de :

[…] faire monter aussi haut que possible ce niveau minimum [28].

Dans La psychanalyse: une érotologie de passage [29], on pourra trouver une discussion de la teneur et du statut de ces « principes » freudiens, qu'il n'est pas possible de reprendre ici. Sauf à rappeler que le « plaisir préliminaire » est une jouissance préliminaire (on peut, en effet, traduire Lust par jouissance, et il ne s'agit pas d'un « plaisir » au sens freudien d'abaissement des tensions). Or cette montée contrevient aux principes les plus fondamentaux élus par la psychanalyse : une doctrine qui fut qualifiée de « pansexualisme » s'était munie de principes qui tournaient le dos à la sexualité !

Une des façons d'éclairer cette montée de la tension sexuelle, de l'excitation, consiste à se demander ce qui lui met un terme. Lacan se pose cette question. Après avoir formulé ce Vorlust dans les termes (problématiques) des principes freudiens, il fait intervenir une donnée inédite, à savoir l'angoisse. Le problème n'est pas pour autant si facilement ou si rapidement réglé dans cette séance, car vient aussitôt une autre conjecture : ce qui viendrait faire limite à la montée du Vorlust ne serait-il pas sa tendance

à confiner à sa propre limite, c'est-à-dire au surgissement dé la douleur [30] ?

Et, comme si ça ne suffisait pas, question empilement, des possibilités, l'on en trouve, juste après, encore une autre

[...] puisque ce qui constitue une fonction génitale nous est donné pour lié à l'oblativité [remarque Lacan à l'endroit de Maurice Bouvet], qu'on nous dise donc comment la fonction du don intervient hic et nunc au moment où on baise.

Car

[...] il est certain que de quelque manière doit intervenir la fonction de l'autre [manuellement corrigé: Autre].

Voici donc mentionnées trois interventions possibles au cœur même du virage essentiel dans le « moment où on baise » : celle de l'angoisse, celle de la douleur, celle de l'Autre. Ces mentions sont alors comme des pierres d'attente.

Le glamour de l'objet

Lacan va formuler ce jour-là le problème de la fonction de l'objet dans la baise en des termes qui, silencieusement, se démarquent de Freud (s'il est exact, comme on l'enseigne, que Freud établit la psychanalyse en inventant le fantasme, autrement dit en renonçant à la théorie de la séduction par l'objet, les pères d'hystériques n'étant pas les méchants séducteurs qu'elles désignaient). Pour mesurer cet écart, il suffira de noter que, chez Lacan, il n'y a rien d'incompatible entre l'intervention du fantasme et l'intervention d'une séduction par l'objet. Cette dernière intervention est même ce qu'il va présenter comme étant le problème à traiter.

Dans la baise, l'objet se transforme, devient attrayant, stimulant (ce qu'il n'est pas en permanence - comme le montre spécialement le tantrisme en tendant à réaliser, par des techniques sexuelles appropriées, cette permanence qui n'a pas lieu). Voici :

[...] l'objet <> devient pour nous revêtu ou non de cette glamour, de cette brillance désirable, de cette couleur - c'est ainsi qu'en chinois on désigne la sexualité - qui fait que l'objet devient stimulant au niveau justement de l'excitation [31].

Glamour, c'est l'enchantement, le charme, la fascination, le prestige, l'éclat. To cast a glamour over someone, c'est ensorceler. To glamorize est aussi intéressant, puisque ce verbe introduit dans l'affaire la facticité : c'est donner une beauté, un prestige factice à quelqu'un, à quelque chose.

Vient alors un pas franchi dans la théorie du sexuel :

[...] cette couleur préférentielle se situera, je dirai, au même niveau de signal qui peut aussi bien être celui de l'angoisse. Je dis donc à ce niveau-ci, i'(a) [...]

Le i'(a) est ici celui du schéma du bouquet renversé. Cette remarque intervient sur un terrain clinique assez solide puisque, situant ainsi l'angoisse au mitan de la baise, Lacan duplique son interprétation du rêve de l'injection faite à Irma où le rêveur, lui aussi, Freud en l'occurrence, tel le baisant ici, franchit un point d'angoisse, l'horreur de la vision du fond de la gorge d'Irma.

Ce pas permet à Lacan de produire un chiffrage différenciant les deux cas de sexualité masculine détériorée. Il semble que, dans le premier cas de détérioration, lorsque cette couleur vient en i'(a), il se produit un « branchement de l'investissement érogène originel ». Petit a vient dans le col du vase « présent et caché à la fois ». Si ce n'était ce « présent caché à la fois », on ne verrait pas bien pourquoi le mâle, qui ainsi baise avec une prostituée, s'angoisse au point de ne pas pouvoir le faire ; à vrai dire, ce « présent caché » ne lève guère le mystère. Dans l'autre cas, la mère interviendrait non plus dans le col du vase mais « au niveau de l'encadrement » du miroir, où se ferait le triage. Acceptons qu'il reste là bien des obscurités, lesquelles ne sont que partiellement levées par le fait que Lacan situe le premier cas de détérioration comme inhibition, le second comme angoisse.

L'Angoisse, séance du 6 mars 1963

Lacan aborde maintenant le rapport sexuel à partir de ce qu'il a repéré à l'endroit de la naissance ou du sevrage. Si, dans la naissance et le sevrage, ce que laisse tomber l'enfant n'est pas le même objet que celui dont la mère se sépare, s'il y a, en chaque occasion, « deux coupures si distantes qu'elles laissent même pour les deux des déchets différents [32] », en sera-t-il de même dans la baise ? Ce même schéma d'une chute d'une partie corporelle qui, dans cette chute, devient caduque, d'un certain laisser tomber ou plutôt de deux laisser tomber différents mais articulés, ce schéma, déjà valable deux fois, le sera-t-il une troisième, cette fois au niveau de la baise ?

Lacan engage l'étude de cette question avec la remarque que, dans la castration, « là aussi nous avons affaire à un organe [33] ». S'agissant de la rencontre sexuelle, il faut distinguer la menace de castration, « le geste possible », de ce qui se produit à l'endroit de l'organe phallique dans la baise. L'angoisse de castration porte-t-elle sur « la mise hors du combat ou la mise hors du jeu de l'instrument par la détumescence » ? La question revient à savoir où est à placer l'angoisse de castration dans la baise. Si l'on distingue bien le geste possible et disons (pour faire contrepoint à ce « possible) l'« effectivité » de la détumescence, la réponse n'est plus si évidente.

Quelle preuve ou quels faits peut-on donner à l'appui de la position qui met à distance angoisse de castration et détumescence? Rien de moins que « la première intuition de Freud », qui liait l'angoisse de castration au coïtus interruptus, c'est-à-dire à un geste où

[…] par la nature même des opérations en cours, l'instrument est mis au jour dans sa fonction, soudain déchu de l'accompagnement de l'orgasme - en tant que l'orgasme est supposé signifier une satisfaction commune [34].

Dans le coïtus interruptus qui, si l'on comprend bien, n'est pas synonyme, pour Lacan ici, d'absence d'orgasme, il y a une disjonction qui intéresse beaucoup Lacan, celle de l'orgasme d'un côté et de la détumescence de l'autre. Elle l'intéresse car, du coup, « la subjectivité est focalisée sur la chute du phallus » et c'est en cela que le coïtus interruptus provoque l'angoisse. Ainsi Lacan peut-il conclure que :

[...] le phallus est plus significatif dans le vécu humain par sa chute, par sa possibilité d'être objet chu, que par sa présence [...][35].

Autrement dit, dans la baise, le phallus fonctionne comme objet petit a. Il est, d'ailleurs, un des cinq objets petit a du « graphe de l'amourir » que Lacan dessine dans ce séminaire. Et l'orgasme a « rapport essentiel avec la fonction que nous définissons, la chute du plus réel du sujet […] ».

L'Angoisse, séance du 13 mars 1963

Cette séance est spécialement celle de « la perspective androcentrique ».

L'arithmétique du sujet

Dans ce moment du séminaire, la division arithmétique du sujet est assez bien établie, et Lacan commence par en rappeler les termes.

[...] petit a symbolise ce qui, dans la sphère du signifiant, est toujours ce qui se présente comme perdu […]. Or, c'est justement ce déchet, cette chute, ce qui résiste à la significantisation qui vient à se trouver constituer le fondement comme tel du sujet désirant - non plus le sujet de la jouissance, mais le sujet en tant que sur la voie de sa recherche, en tant qu'il jouit, qui n'est pas recherche de sa jouissance mais <> vouloir de faire entrer cette jouissance au lieu de l'autre [non corrigé Autre] comme lieu du signifiant, c'est là, sur cette voie que le sujet se précipite, s'anticipe comme désirant[36].

Au cœur, dis-je, de l'expérience du désir, il y a ce qui reste quand le désir est « satisfait » […][37].

Si c'est au désir et à la jouissance qu'il faut se référer, nous dirons que me proposer comme désirant, éron, c'est me proposer comme manque de a, et que ce qu'il s'agit de soutenir dans notre propos est ceci, c'est que c'est par cette voie que j'ouvre la porte à la jouissance de mon être[38].

[...] le phallus à l'état flapi est cet élément synchronique tout bête comme chou, même comme la tige d'un chou, comme s'exprime Pétrone, est là pour nous rappeler que l'objet choit du sujet [39].

À partir de cette dernière citation, on saisit que se présente un problème homme/femme, ne serait-ce que parce qu'on a quelque difficulté à imaginer que le rapport à ce phallus flapi soit identique chez le phallophore et chez celle qui ne l'est apparemment pas. Prenant appui sur ce sol assez solidement établi du devenir désirant du sujet de la jouissance, Lacan en vient donc, dans le dernier tiers de cette séance, à tenter d'établir comment ces assertions générales opèrent chez l'homme et chez la femme dans la baise.

Vers une sexuation du désir ?

Il le fait en se donnant une certaine marge, tant en ce qui concerne son énonciation que ses énoncés. Pour son énonciation, il choisit de parler de manière aphoristique ; pour ses énoncés, cette marge s'appelle malentendu. Loin de tenter de tisser les choses d'une façon serrée, les problématiques homme et femme étant étroitement imbriquées (comme dans les « Propos... »), en introduisant tout de suite le malentendu, Lacan s'ouvre la possibilité de décrire une problématique homme et une problématique femme relativement disjointes, que seuls lieraient quelques points de malentendus.

[...] On ne voit pas pourquoi, si le réel est toujours sous-entendu, la jouissance la plus efficace ne pourrait pas être atteinte par les voies mêmes du malentendu [40].

C'est donc après s'être ainsi donné quelque marge de manœuvre que Lacan en vient à sa présentation de la voie androcentrique de rencontrer la femme. On notera l'ambiguïté des propos, de ce « je » qu'utilise alors Lacan dont on ne sait trop dire s'il est le sien, celui de l'homme ou celui de « tout homme », c'est-à-dire de la femme aussi bien. Rapprochons certains propos :

Si c'est au désir et à la jouissance qu'il faut nous référer, nous dirons que me proposer comme désirant, éron, c'est me proposer comme manque de a ; et que ce qu'il s'agit de soutenir dans notre propos est ceci : c'est que c'est par cette voie que j'ouvre la porte à la jouissance de mon être[41].

Toute exigence de a sur la voie de cette entreprise - disons, puisque j'ai pris la perspective androcentrique - de rencontrer la femme, ne peut que déclencher l'angoisse de l'autre, justement en ceci que je ne le fais plus que a, que mon désir le a-ise, si je puis dire [...].

Pouvons-nous comprendre que l'homme est désirant, qu'il ouvre ainsi à la femme la possibilité de jouir de son être (sic !) ? Mais aussi, ce faisant, qu'il angoisse la femme en tant qu'il la prend comme ce qu'il cherche, à savoir pour un objet petit a ?

Or, la suite immédiate du propos part dans une autre direction, ce qui est sans doute rendu possible par le fait que Lacan ne dit pas « ne peut que déclencher son angoisse » (donc celle de la femme) mais « l'angoisse de l'autre », ce qui maintient un certain écart à l'endroit d'une question que nous avons déjà rencontrée, celle de savoir si la femme est identifiée ou pas à l'Autre.

Nous allons alors avoir affaire à quelque chose de proche de ce que nous avons repéré dans les « Propos... », à savoir à la femme castratrice, l'angoisse passant, du coup, du côté disons du sujet qui, lui, dans ce contexte, peut être dit homme.

Voici la phrase du 13 mars 1963 :

[...] c'est en tant qu'elle veut ma jouissance, c'est-à-dire jouir de moi, ça ne peut pas avoir d'autre sens, que la femme suscite mon angoisse [...] c'est dans la mesure où il s'agit de jouissance, c'est-à-dire où c'est à mon être qu'elle en veut, que la femme ne peut l'atteindre qu'à me châtrer.

À comparer à celle des « Propos… » :

[...] la sexualité féminine apparaît comme l'effort d'une jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté (dont peut-être toute circoncision indique-t-elle la rupture symbolique) pour se réaliser à l'envi du désir que la castration libère chez le mâle en lui donnant son signifiant dans le phallus.

On ne peut que remarquer qu'il y a là une insistance, si ce n'est une constante. À plusieurs années de distance, la femme reste castratrice. Il est vrai que, dans les « Propos... », cette castration était le fait de la jouissance féminine alors que, ce 13 mars 1963, elle semble plutôt être le fait d'un vouloir féminin.

Si on lit la phrase du 13 mars 1963 avec celle des « Propos... », l'on remarque que l'aspect surenchère est lui aussi maintenu. Là où « mon désir » a-ise la femme, celle-ci répond (répond ?) en s'en prenant à « mon être », ou, plus exactement, à mon phallus qui serait tout ce qui, de mon être, se trouve à sa portée.

Pour suivre

On saisit tout l'intérêt que Lacan portera, des années plus tard, exactement le 16 mars 1976 et bien qu'il ait, entre-temps, proféré son « Il n'y a pas de rapport sexuel », au film L'empire des sens. Une femme, disons au vouloir particulièrement marqué, ne trouve sa jouissance de ce phallus que par et dans le meurtre de l'homme - elle l'étrangle en le baisant, ce qui est censé faire affluer davantage de sang dans l'organe en question, donc le rendre plus opérant. Cette intensité maximale de la jouissance sexuelle ainsi atteinte, elle le coupe. Que restera-t-il en main, à cette femme ? Ce même phallus mais flapi, un objet petit a dont la possession la rend folle.

Notes

[1] On le vérifiera en lisant la dernière des correspondances de Freud publiées en France, celle avec Ernest Jones, où les deux hommes ne cessent d'user, pour discriminer qui a été frappé par « la nouvelle épidémie qui se propage parmi les médecins » et qui ne l'a pas été, d'un critère à lui seul décisif : la reconnaissance que ce dont il s'agit, notamment dans un certain type de symptômes, est de nature sexuelle (p. 113). La position freudienne se lit notamment dans une lettre du 31 octobre 1909, où Freud décrit ainsi « l'esprit de la psychanalyse » : « Il m'a toujours semblé que le mieux était de se conduire comme si la liberté de parler de la sexualité allait de soi, et d'affronter tranquillement la résistance inévitable » (p. 79).

[2] Pascal Quignard, Le sexe et l'effroi, Paris, Gallimard, 1994, p. 160-161.

[3] Lacan, L'objet de la psychanalyse, séminaire inédit, séance du 8 juin 1966.

[4] Le séminaire Les noms-du-Père ne devait comporter qu'une seule séance, le 20 novembre 1963. On a tendance à considérer que le transfert du séminaire de Lacan de l'hôpital Sainte-Anne à l'École normale supérieure vint après une censure qui aurait frappé le séminaire Les noms-du-Père à venir, interprétation renforcée par la bouderie d'un Lacan ne manquant pas une occasion de signaler qu'il avait donc dû garder ça par-devers lui. Mais on ne censure que ce qui, effectivement, s'est avancé. N'était-ce pas bien plutôt l'érotologie de L'angoisse qui était visée ? Le 8 juin 1966 (op. cit.), Lacan décrit ce qui s'était passé la dernière année à Sainte-Anne : « J'avais tout un premier rang de sous-offs qui prenaient ardemment ce que j'écrivais, mais ils pensaient tellement à autre chose qu'on conçoit qu'il ne leur en soit rien resté. »

[5] Jacques Lacan, « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, p. 726. Le titre ci-dessus est de Lacan.

[6] Dans les Écrits (cf. p. 909), la parution de La psychanalyse, n° 7 est datée à tort de 1962 (la Nouvelle bibliographie des travaux de Jacques Lacan, de Joël Dor, corrige). Le texte paraît sans aucun changement en 1966.

[7] J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 725.

[8] Cf. Le plaisir et ses bases biologiques, ouvrage collectif rassemblant les travaux de G. Abraham, P. Marrama, C. Carani, J.M. Gaillard.

[9] J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 727.

[10] Ibid., p.728.

[11] Lacan avait déjà pris et signalé ce parti dans la séance du 21 février 1962 de son séminaire L'identification ; il réitérera ce choix dans L'angoisse, le 13 mars 1963.

[12] J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 729.

[13] Ibid., p. 730.

[14] Ibid., p.732.

[15] Page suivante, on lit encore : « Si l'on part de l'homme pour apprécier la position réciproque des sexes, [...] », formule que ne dément pas, quelques lignes plus loin, le fait de prendre le problème « à revers ».

[16] Ibid., p. 735.

[17] Ibid., p. 733.

[18] Indiqué VII dans les Écrits, qui reconduit une coquille de la première publication.

[19] Ibid., p. 734.

[20] Ibid., p. 733.

[21] Ibid., p. 734.

[22] Ibid., séance du 19 décembre 1962, sténotypie p. 5.

[23] Le cross-cap est un objet topologique unilatère, sans dedans ni dehors, dont une des propriétés est la suivante: une certaine coupure (dite de la « double boucle » ou du « huit intérieur ») le décompose en deux objets dont l'un, le disque feuilleté, n'a pas d'image dans le miroir, est un objet énantiomorphe. Cette expérience topologique fut un point d'appui essentiel permettant à Lacan de situer l'objet petit a comme un objet essentiellement différent de l'objet phénoménologique, du Gegenstand..

[24] . Ibid., séance du 23 janvier 1963, p. 16.

[25] .Jean Claude Mimer, Le triple du plaisir, op. cit., p. 26.

[26] J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 613 et sq. La place vide est celle délimitée par le col du vase. Cette place est nommée Heim, lieu du désir, du manque, au début du séminaire L'Angoisse (séances du 28 novembre et 5 décembre 1962).

[27] J. Lacan, L'Angoisse, séance du 19 décembre 1962, p. 6-7.

[28] Ibid., séance du 9 janvier 1963, p. 17.

[29] Jean Allouch, La psychanalyse: une érotologie de passage, p. 75-78. Ce même opuscule comporte une étude de l'invention de l'objet petit a (p. 36 et sq.) à laquelle il n'est ici fait référence qu'allusivement.

[30] Ibid., séance du 9 janvier 1963, p. 17-18.

[31] Ibid., p. 19.

[32] J. Lacan, L'angoisse, séance du 6 mars 1963, p. 23.

[33] Ibid., p. 24.

[34] Ibid., p. 25-26.

[35] Ibid., p. 26.

[36] Ibid., séance du 13 mars 1963

[37] Ibid., p. 14.

[38] Ibid., p. 26-27.

[39] Ibid., p. 14.

[40] Ibid., p. 24.

[41] Ibid., séance du 13 mars 1962, p. 26-27.

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